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Liban, la pénurie d’essence

Un drame est survenu dans la région de l’Akkar, au nord du Liban, dans la nuit du 14 au 15 août 2021 : un camion-citerne chargé d’essence a explosé, provocant la mort d’au moins 28 personnes. 79 personnes ont été blessées. Un an après la terrible explosion dans le port de Beyrouth, causant la mort d’au moins 200 personnes, le Liban traverse actuellement l’une des pires crises économiques au monde, selon la Banque mondiale.

L’essence, dont la Banque centrale au Liban a annoncé ne plus pouvoir subventionner, est en pénurie dans tout le pays. Couplé à des pannes d’électricités conséquentes, qui peuvent aller jusqu’à 22 heures par jour, le pays doit se rabattre sur des générateurs de courant. Ces derniers, pour la plupart alimentés en essence, sont mis au ralenti par la rareté de carburant. Ce qui provoque des pénuries alimentaires dans les boulangeries et des hôpitaux en sous-régime.

 

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Abysse économique

« Nos vies ne valent rien pour les dirigeants », dit Mamdouh, au visage fripé, qui résume en peu de mots les malheurs de sa région du Akkar, la plus pauvre du Liban, dans l’abysse économique où est plongé le pays en lambeaux : « Les gens ont faim. »

Le drame de Tleil, les cris de personnes aprises au piège des flammes, les images de corps recouverts de bandages, sont un nouveau choc au Liban. « Tout est possible, quand il n’y a plus de gouvernement qui gère le pays [l’exécutif est démissionnaire depuis un an], et que la situation économique est instable. Il n’y a plus de limites aux problèmes et aux troubles », s’inquiète le docteur Pierre Yared, directeur de l’hôpital Geitawi, à Beyrouth, doté d’un centre pour les grands brûlés. Le 9 août, trois personnes avaient été tuées dans le nord du Liban à la suite de disputes liées à l’approvisionnement en essence.

La saisie du réservoir à Tleil, dans la foulée de perquisitions lancées par l’armée samedi, a mis au jour un secret de polichinelle. Si l’essence et le mazout manquent au Liban, plongeant depuis des semaines rues et habitations dans le noir (les coupures d’électricité y sont aussi vieilles que la guerre de 1975-1990 et les générateurs qui prennent le relais sont au point mort), c’est certes parce que l’Etat est en faillite, mais aussi parce que les pénuries sont fabriquées.Des individus ont fait des stocks en escomptant réaliser de juteux profits une fois les subventions levées, et des quantités sont trafiquées vers la Syrie. « Depuis plusieurs semaines, on assiste à une hausse du stockage sur le territoire libanais : c’est le fait de personnes aux solides connexions politiques, impliquant plusieurs partis, qui ont racheté à un prix plus cher que celui auquel l’essence est revendue en Syrie », affirme une source sécuritaire. Provenant de ces stocks, une partie se retrouve sur le marché noir, à un coût exorbitant.

 

Contrebande

“Les gens ont été brûlés par l’essence de la corruption, de la négligence et de la décomposition de l’État”, renchérit le quotidien An-Nahar dans un reportage déchirant, dans les hôpitaux auprès des victimes de l’explosion et de leurs familles. En raison de la pénurie de matériel médical, certains blessés ont dû être transférés à l’étranger.

Après l’annonce par la banque centrale de la levée des subventions sur les carburants, le pouvoir a chargé l’armée libanaise et les services de sécurité de réquisitionner, notamment dans les stations-service, les stocks d’essence cachés sur l’ensemble du territoire à des fins spéculatives, dont une partie destinée à la contrebande avec la Syrie.

Après la tragédie, le parti présidentiel du Courant patriotique libre et celui du Courant du Futur de l’ex-Premier ministre Saad Hariri se sont mutuellement accusés d’entretenir des réseaux de stockage de contrebande d’essence, sur fond de tensions confessionnelles.

Ce nouveau drame est le dernier épisode de la chronique de l’effondrement du pays. Le Liban vit littéralement une “fin du monde”, écrit un éditorialiste libanais dans les colonnes du journal panarabe Al-Quds Al-Arabi. Le directeur de la rédaction du site Al-Modon parle, lui, d’une accumulation de crises aux allures de “malédiction”.

 

Un vent de panique

Les privations drastiques de courant ramènent les Libanais aux souvenirs du temps de la guerre. L’un des principaux hôpitaux privés, lié à l’université américaine de Beyrouth, avait annoncé samedi être au bord de cesser ses activités. Il a finalement été ravitaillé, momentanément, en carburant.

Dimanche, le Conseil supérieur de défense a chargé les forces de sécurité et l’armée d’encadrer pendant un mois la distribution de carburant. C’est une normalisation de la situation qui prévaut sur le terrain depuis plusieurs jours – des soldats déployés aux rares stations-service ouvertes, aux queues interminables – et qui laisse présager un rôle croissant de l’armée face au chaos.

Car le plus dur reste encore à venir. L’annonce de la levée des subventions, dont personne non plus ne veut assumer la responsabilité, ni le gouverneur de la banque centrale, Riad Salamé, ni la classe politique, a été faite de façon laconique. C’est à un vent de panique que l’on a assisté depuis. Or, une nouvelle flambée des prix est maintenant attendue, non seulement concernant l’essence, mais aussi des biens de consommation.

Tests ADN

L’explosion aurait eu lieu, selon l’Agence nationale d’information (ANI), après des bagarres entre des habitants qui cherchaient à se procurer de l’essence. Le président libanais Michel Aoun a réclamé l’ouverture d’une enquête et le gouvernement a décrété lundi journée de deuil national.

A l’hôpital Al-Salam à Tripoli, grande ville du Nord, les salles d’urgence se sont remplies dès le petit matin de blessés et de proches de victimes, certains à la recherche d’une personne disparue.

« Ne nous quitte pas ! », criait une mère à côté de son fils au corps entièrement brûlé, tandis qu’un homme pleurait à chaudes larmes, priant Dieu de sauver son enfant.

Au moins sept corps et des dizaines de personnes brûlées ont été transférés dans un hôpital du Akkar, a indiqué un employé de cet établissement, Yassine Metlej.

Mais « les cadavres sont tellement carbonisés qu’on ne peut pas les identifier », a-t-il dit à l’AFP. « Certains n’ont plus de visage, d’autres plus de bras ». L’hôpital a dû refuser la plupart des blessés car il n’est pas équipé pour soigner les grands brûlés, a-t-il ajouté.

« Il y a beaucoup (…) de corps que nous n’avons pas pu identifier », a confirmé une source sécuritaire à l’AFP, indiquant que des tests ADN avaient débuté.

Le ministre sortant de la Santé Hamad a dit être en contact avec notamment la Turquie, le Koweït et la Jordanie pour y transférer les brûlés graves.

Dimanche soir, un avion turc a atterri à l’aéroport de Beyrouth pour venir chercher quatre militaires grièvement brûlés, a rapporté l’ANI.

Dans plusieurs hôpitaux, des correspondants de l’AFP ont vu des dépouilles enveloppées dans des linceuls blancs. Une personne grièvement blessée a été transportée en hélicoptère vers un hôpital à Beyrouth, a constaté un photographe de l’AFP.

 

 

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